L’une des requêtes les plus fréquentes sur Google est « Peut-on guérir le cancer ? » Quelle est votre réponse ?
« LE cancer » n’existe pas, c’est important de le souligner. En fait, il existe des centaines de sous-types de tumeurs pouvant présenter une structure génétique moléculaire très différente. Un grand nombre de ces tumeurs sont déjà guérissables. Beaucoup d’autres peuvent maintenant être traitées comme une maladie chronique et ne réduisent souvent pas l’espérance de vie du patient. Nous savons également que plus le cancer est détecté tôt, meilleures sont les chances de guérison.
De plus en plus de personnes survivent mais, d’autre part, l’OMS prévient que l’incidence du cancer va augmenter de manière exponentielle. Le moment est-il venu de sabrer le champagne, ou faut-il au contraire tirer la sonnette d’alarme ?
Le cancer est principalement une maladie qui touche les personnes âgées, et il est en augmentation en raison de l’évolution démographique. Heureusement, un diagnostic de cancer aujourd’hui n’est plus une condamnation à mort. Les taux de survie continuent d’augmenter chaque année à mesure que les traitements deviennent plus précis, plus efficaces et mieux tolérés, ce qui est le fruit d’années de recherche intensive. C’est assurément une raison de se réjouir. En parallèle, le nombre croissant de cas de cancer constitue bien sûr un énorme défi pour notre système de santé. Nous devons garder un œil sur les coûts, mais aussi veiller à ce que la population reste en bonne santé et évite les risques de cancer.
Quels sont les objectifs de la prévention et du dépistage ?
Une prévention ciblée et le dépistage permettent d’éviter 30 à 40 % de tous les cancers. On sait par exemple depuis longtemps que fumer augmente significativement le risque de développer un cancer. L’UE vient de lancer un projet d’un milliard de dollars sur le cancer, dont l’objectif affiché est de réduire la proportion de fumeurs à cinq pour cent. En Suisse, nous sommes actuellement à 27 %. En comparaison européenne, nous faisons figure de mauvais élèves. Il importe ici de fixer le bon cap politique.
De plus en plus de personnes survivent au cancer, mais beaucoup souffrent de séquelles. Quelle est l’intensité des recherches menées dans ce domaine ?
Plus le taux de survie augmente, et plus nous devrons faire face aux séquelles de la maladie et des traitements. Dans ce domaine, la RSC et la Ligue contre le cancer soutiennent de nombreux projets. Citons en exemple le registre du cancer de l’enfant, qui est l’un des plus anciens registres d’Europe et grâce auquel nous disposons de précieuses données sur le long terme. Il existe également de nombreuses recherches sur la qualité de vie des « survivants du cancer » pour les affections plus courantes comme le cancer du sein. Nous en savons désormais beaucoup plus sur la manière d’améliorer le bien-être physique et mental. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres : il y a 30 ans, la priorité absolue des personnes touchées par le cancer était de se reposer et de se détendre. Nous savons aujourd’hui que l’exercice, l’activité et l’interaction sociale sont essentiels sur la voie de la guérison.
En quoi la situation des personnes touchées par le cancer a-t-elle changé par rapport à il y a 30 ans ?
En tant qu’oncologue, j’ai soigné il y a 30 ans de nombreuses personnes que nous ne pouvions pas guérir à l’époque, mais pour lesquelles il existerait aujourd’hui des thérapies très efficaces. Les traitements des années 90 ne sont pas comparables à ceux d’aujourd’hui. Par exemple, certains traitements qui duraient entre un et deux ans ne durent plus que quelques mois. Dans d’autres cas, des médicaments ultra-ciblés issus de la médecine personnalisée font que la chimiothérapie et l’hospitalisation ne sont plus nécessaires. L’analyse des tissus par la pathologie moderne basée sur la génétique moléculaire a révolutionné les diagnostics et nous donne des informations très précises pour le traitement. Que ce soit la chirurgie et ses procédures qui ménagent et préservent les organes, la radiothérapie et ses rayonnements de haute précision, la médecine nucléaire et ses isotopes thérapeutiques ou encore la radiologie diagnostique et ses nouvelles techniques d’imagerie, toutes ont apporté d’énormes améliorations aux patients. Les étapes importantes dans le traitement du cancer comprennent également diverses approches immunothérapeutiques comme les anticorps monoclonaux et les immunothérapies cellulaires.
Dans quels domaines des développements prometteurs se dessinent-ils actuellement ?
Le dynamisme dans ce domaine est impressionnant. Certains projets visent à tester des combinaisons entre les nombreuses nouvelles options thérapeutiques apparues au cours de la dernière décennie – en particulier des thérapies cellulaires ou par anticorps avec des médicaments existants. Nous espérons que les nouvelles approches en matière d’immunothérapie ainsi que les immunisations basées sur l’ARNm seront encore affinées et que davantage de personnes pourront en bénéficier. Dans le domaine du diagnostic moléculaire, de nouvelles procédures de tests sanguins (« biopsies liquides ») sont déjà très proches d’une utilisation clinique. Ces méthodes non-invasives facilitent le diagnostic des tumeurs ou des rechutes, et permettent de mieux surveiller les traitements et détecter les changements du génome de la tumeur à un stade précoce.
L’évolution rapide de la lutte contre le cancer a-t-elle un inconvénient ?
Effectivement. De nombreux médicaments contre le cancer arrivent sur le marché après une période de développement relativement courte en raison de la pression exercée pour un retour sur investissement rapide. C’est là que le travail de la RSC entre en jeu : dans le domaine de la « recherche sur les services de santé », nous soutenons de nombreux projets qui étudient le rapport coût-bénéfice des médicaments contre le cancer ainsi que des projets dans lesquels l’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt. Par exemple, des études sur la question de savoir si un médicament peut être dosé plus faiblement et utilisé pendant moins longtemps afin d’en minimiser les effets secondaires.
La RSC finance aussi la «Recherche axée sur le patient ». Qu’entend-on par-là ?
La recherche clinique permet de se pencher sur des questions importantes qui concernent la vie quotidienne des hôpitaux et la prise en charge des patients. Derrière les projets que nous soutenons se trouvent des médecins et des soignants expérimentés et très motivés qui voient ce à quoi les personnes touchées par le cancer sont confrontées dans leur vie quotidienne. Il s’agit en particulier de la recherche sur les services de santé, où nous examinons si les nombreux progrès enregistrés atteignent les patients de manière adéquate, rapide et dans la qualité requise.
Quel est votre principal souhait pour le 30e anniversaire de la fondation Recherche suisse contre le cancer ?
Mon souhait est le suivant : que les progrès se poursuivent au rythme actuel, que la Suisse puisse maintenir sa position de leader dans la recherche sur le cancer et que nous puissions continuer à compter sur des chercheurs aussi motivés et impliqués dans leur travail. L’objectif demeure que la guérison devienne la règle. Je tiens également à remercier tous les donateurs qui ont rendu cela possible.