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Éviter des opérations inutiles

Parfois, lorsque les médecins examinent les tissus prélevés lors d’une opération de l’appendicite, ils découvrent une tumeur rare. Si celle-ci a déjà un diamètre d’un peu moins de deux centimètres, on recommandait jusqu’à présent d’enlever la partie avoisinante du côlon. Mais on ne devrait pas le faire, c’est ce qu’un groupe de recherche à Berne a démontré après l’évaluation minutieuse d’échantillons tissulaires et de données cliniques de toute l’Europe.

Reto Kaderli et son collègue Cédric Nesti planifient la prochaine intervention.

Elles ont un nom compliqué et sont spéciales à plus d’un titre : les tumeurs neuroendocrines (TNE) ont une structure qui ressemble à celle des cellules nerveuses et elles sécrètent des substances messagères ou des hormones. Les TNE sont rares, elles peuvent toucher différents organes, mais n’évoluent que lentement et ne causent donc en général pas de symptômes pendant longtemps.

Leur découverte est souvent fortuite, par exemple après une opération de l’appendicite, lorsque les spécialistes du laboratoire de pathologie examinent les tissus prélevés. Souvent, la tumeur ainsi découverte dans l’appendice est petite, moins d’un centimètre de diamètre. D’après les directives médicales internationales, il est alors inutile de faire quoi que ce soit, car la tumeur a été enlevée à un stade précoce.

 

Tumeurs intermédiaires

« Les choses sont claires également dans le cas d’une grosse tumeur de plus de deux centimètres de diamètre découverte dans l’appendice », dit Reto Kaderli, médecin adjoint à la clinique universitaire de chirurgie et médecine viscérales de l’Hôpital de l’Île. Le risque est alors accru que la tumeur ait déjà formé des métastases. C’est pourquoi les directives recommandent dans ce cas une deuxième opération pour enlever le côté droit du côlon, voisin de l’appendice touché.

Mais il y a aussi des tumeurs intermédiaires dont le diamètre se situe entre un et deux centimètres. Les expériences étant mitigées, les spécialistes ont du mal à prendre la décision d’enlever ou non une partie du côlon. En effet, l’intervention est lourde et entraîne dans un cas sur cinq des complications.

Les complications sévères, comme par exemple une perforation de l’intestin, sont certes rares, les infections et le ralentissement du transit intestinal sont plus fréquents, « mais ces complications moins sévères sont néanmoins désagréables et allongent souvent la durée d’hospitalisation », explique Reto Kaderli. « Nous voulons l’éviter, d’autant plus que nous avons le plus souvent affaire à des patientes et patients relativement jeunes. » L’âge moyen des personnes touchées n’étant que de 36 ans, nombre d’entre elles ont encore bien des années de vie devant elles.

 

Taux de survie comparables

Dans le cadre d’un projet soutenu par la fondation Recherche suisse contre le cancer, Reto Kaderli et son équipe ont collecté les échantillons tissulaires et l’histoire de la maladie de 278 patient-e-s de toute l’Europe. Chez toutes ces personnes, une opération de l’appendicite avait eu lieu entre 2000 et 2010 et donné lieu à la découverte d’une tumeur neuroendocrine de taille litigieuse.

Chez 115 de ces patient-e-s, les médecins avaient décidé d’enlever le côlon droit, tandis que les 163 autres n’avaient pas subi de deuxième opération. Reto Kaderli et son équipe viennent d’exposer dans la revue scientifique de renom The Lancet Oncology que les taux de survie sont comparables dans les deux groupes. « Cela montre qu’il n’est pas nécessaire d’enlever le côté droit du côlon », conclut le chercheur.

Encore mieux : dans toute l’étude, il n’y a eu aucune nouvelle métastase et aucun décès dû à la tumeur. Or, son équipe de recherche avait découvert des métastases dans les ganglions lymphatiques dans 20 % des échantillons tissulaires du côlon : « Nous estimons qu’une part comparable des patientes et patients qui n’ont pas été opérés une deuxième fois ont aussi des métastases dans les ganglions lymphatiques », explique Reto Kaderli, « mais celles-ci sont visiblement sans importance clinique. »

 

Rompre avec un dogme oncologique

Pardon ? Les métastases, responsables de 90 % des décès par d’autres types de cancer, seraient dans ce cas sans importance clinique ? « Oui, nous rompons avec un dogme oncologique », répond Reto Kaderli. « Nous disons : il vaut mieux laisser le tissu tumoral en place plutôt que d’opérer inutilement. Les ganglions lymphatiques restent petits et ne causent pas de symptômes. »

Dans le cas de certaines petites tumeurs de la thyroïde, on connaît déjà des métastases dans les ganglions lymphatiques qui sont sans danger. Dans ces cas particuliers, on a commencé à enlever uniquement les tissus thyroïdiens touchés et non les ganglions lymphatiques voisins. « Dans le cas de la thyroïde, c’est accepté », rappelle-t-il.

Lui et son équipe ont déjà présenté leurs résultats lors de congrès spécialisés. Ce faisant, il a parlé avec des personnes qui travaillent actuellement sur la prochaine version des directives de traitement des tumeurs neuroendocrines et il pense que ses résultats seront pris en compte, de sorte qu’on opèrera moins à l’avenir et que plus de personnes touchées garderont leur côlon complet et donc leur qualité de vie.

 

La recherche sur les cancers rares : un défi à relever

« Nous étudions une tumeur rare. Pour pouvoir tirer une conclusion pertinente, il faut donc collecter des données de toute l’Europe, ce qui demande beaucoup de travail », explique Reto Kaderli. Mais la coopération internationale a porté ses fruits, car grâce à elle, les scientifiques ont pu mettre en doute – et puis optimiser – des décisions importantes prises en clinique. « La question posée dans notre projet est simple, mais la réponse a une grande portée, en particulier pour les personnes touchées. »